En réponse à la montée des risques géopolitiques, l’idée d’acheter un bunker ou abri antiatomique devient rationnelle. Mais il y a de nombreux blocages qui freinent les Français dans ce type d’investissement, bien qu’ils s’intéressent de près à la question. En interrogeant les constructeurs de bunker en France, on comprend que ce qui limite cette tendance en France est lié à notre histoire, à notre lien avec l’état mais aussi à des facteurs psychologiques plus que financiers.

Construction d’un abri-antiatomique France. Crédit photo Copyright© 2023 Bünkl
Le blocage psychologique
Déni et dissonance cognitive
L’une des réactions humaines les plus courantes face à des risques majeurs tels que la guerre nucléaire est le déni. L’homme de manière générale a du mal à accepter la réalité ou la probabilité d’un événement aussi catastrophique car son cerveau n’est pas programmé pour anticipé des catastrophes de grande envergure. Cette attitude est souvent une forme de protection psychologique contre l’anxiété que ces menaces engendrent. La dissonance cognitive joue également un rôle : les Français sont conscients du risque, mais cette conscience entre en conflit avec la vision qu’ils ont de leur quotidien ou de leur avenir car d’où qu’ils soient, ils ne voient pas les chars traverser les rues ni les avions de combat dans le ciel. Pour résoudre ce conflit, ils peuvent minimiser l’importance du danger.
Optimisme irrationnel
Il existe une tendance humaine à croire que les pires événements arrivent rarement et qu’ils ne toucheront pas directement l’individu. Ce biais est connu sous le nom d’optimisme irrationnel. Beaucoup pensent que même si les tentions géopolitiques (Liban/Israël, Ukraine/Russie…) sont très fortes, les gouvernements trouveront une solution avant qu’un conflit nucléaire n’éclate, car s’il avait lieu, la croyance veut que ce serait la fin du monde. Nous rappelons que ce ne sont pas moins de 2121 explosions nucléaires qui ont été recensées depuis le début de l’ère nucléaire en 1945 et nous sommes toujours là.
Perception de l’inutilité
Un autre facteur psychologique est la perception que même avec un bunker, la survie après une guerre nucléaire pourrait être extrêmement difficile, voire inutile. La destruction à grande échelle, la contamination radioactive et l’effondrement des infrastructures civiles amènent certains à penser qu’il serait vain de tenter de survivre dans un tel monde. Encore une fois, il s’agit d’une croyance fortement ancrée par le cinéma Hollywoodien et les jeux vidéos post-apocalyptiques. À titre de comparaison, car à l’échelle de la planète, la puissance de la plus grande éruption volcanique jamais enregistrée — celle du Mont Tambora en Indonésie en avril 1815 — équivaut à 16 fois la puissance de la plus grosse bombe atomique jamais construite — la Tsar Bomba de 50 mégatonnes d’équivalent TNT — et à 50 000 fois l’énergie de la bombe atomique larguée sur Hiroshima.
Syndrome de la grenouille qui bout
Le syndrome de la grenouille qui bout est une métaphore bien connue utilisée pour illustrer la difficulté des êtres humains à réagir à des changements lents et progressifs, même lorsqu’ils sont dangereux. L’histoire raconte qu’une grenouille plongée dans de l’eau bouillante réagira immédiatement en sautant hors de l’eau pour sauver sa vie. Cependant, si on place la grenouille dans de l’eau froide puis qu’on chauffe cette eau progressivement, la grenouille ne réalisera pas le danger croissant et finira par mourir ébouillantée, car elle ne détecte pas le changement progressif. Cette métaphore illustre parfaitement la manière dont les individus ou les sociétés peuvent rester passifs face à des crises lentes qui mènent progressivement à des situations critiques.
Culture française du collectif
La France a une forte culture de solidarité et de protection collective. L’idée d’investir dans un bunker privé peut entrer en contradiction avec les valeurs partagées de confiance envers l’État perçu comme le garant de la sécurité collective, même si cette dernière tend à disparaître. Beaucoup préfèrent penser que l’État trouvera des solutions pour protéger l’ensemble de la population plutôt que de se tourner vers des solutions individuelles.
Temps de construction
Dans la mesure où les acquéreurs potentiels agissent par réaction à l’actualité, ils ne veulent pas avoir à attendre 6 mois de construction pour disposer d’une solution de protection. C’est pour cette raison que certains spécialistes proposent des locaux d’urgence blindés immédiatement opérationnels, résistants aux explosions et équipés de filtration NRBC.
Blocages financiers
Coût élevé
Le coût de la construction d’un bunker n’est pas négligeable (à partir de 70.000€ pour un structure en béton), et bien que des constructeurs de bunkers comme Bünkl travaillent à la démocratisation des abris de protection, il demeure que beaucoup de Français ne sont tout simplement pas en mesure de se permettre une telle dépense.
Rentabilité incertaine
Contrairement à d’autres investissements (immobiliers, actions…), l’achat d’un bunker n’offre pas de rentabilité évidente. Il ne génère pas de revenus et sa valeur repose entièrement sur un scénario apocalyptique. Les Français, qui sont généralement prudents dans leurs placements financiers, peuvent avoir du mal à voir cet investissement comme justifié, d’autant plus qu’il n’est pas utile au quotidien. Les régions situées à la frontière Suisse font exception car beaucoup de Suisses cherchent à acquérir des biens immobiliers en France du fait de prix plus attractifs. Les bunkers étant parfaitement intégrés à leur culture, les Suisses perçoivent donc la présence d’un bunker comme un véritable plus.
Priorités financières concurrentes
Fortement impactés par l’inflation, les Français sont confrontés à des préoccupations économiques quotidiennes plus pressantes : coût de la vie, achat immobilier, éducation des enfants, épargne pour la retraite… Acheter un bunker peut sembler excessif ou inapproprié face à ces autres priorités financières immédiates et concrètes.
Facteurs culturels et sociétaux
Héritage du pacifisme et du multilatéralisme
La France a une longue tradition de pacifisme et de promotion de la diplomatie multilatérale pour résoudre les conflits. Cette mentalité peut influer sur la façon dont les Français perçoivent la nécessité de se préparer à un conflit nucléaire. L’idée de vivre dans une société où chacun doit se préparer individuellement à des crises majeures peut sembler contradictoire avec les valeurs culturelles de solidarité et de pacifisme, valeurs qui — reconnaissant le — disparaissent également.
Confiance envers l’État
En France, la confiance dans l’État pour assurer la sécurité nationale reste relativement élevée. Même si certains Français peuvent critiquer le gouvernement sur divers sujets, beaucoup pensent que l’État prendra des mesures suffisantes en cas de crise majeure, ce qui réduit la perception d’un besoin d’initiative personnelle extrême.
Influence des médias et de la perception du risque
Les médias jouent un rôle crucial dans la formation de la perception du risque. En France, la couverture médiatique des risques liés à une guerre nucléaire reste relativement faible comparée à d’autres pays comme les États-Unis. Les événements politiques ou les tensions géopolitiques sont souvent présentés sous l’angle de la diplomatie ou des sanctions économiques, ce qui contribue à diminuer la perception immédiate d’une menace atomique.
En conclusion, les blocages psychologiques et financiers, combinés à une culture de confiance envers l’État et un certain déni face aux scénarios catastrophiques, expliquent pourquoi les Français n’achètent pas massivement dans les abris antiatomiques malgré la montée des tensions géopolitiques. La perception que de tels événements sont peu probables, la difficulté à accepter leur réalité et le coût exorbitant de ces infrastructures privatives forment des freins à cet investissement… mais pour combien de temps encore ?